Xavier Ruelle, grand témoin des 20 ans de La Cité de la Mer “Cherbourg est le berceau des sous-marins, et Le Redoutable notre fierté !”

 

Xavier est tombé dans l’univers des sous-marins dès l’âge de 14 ans lors d’un cours de physique sur l’atome. Originaire de l’Est de la France, son avenir était tout tracé à la centrale de Fessenheim (68). C’est en recevant comme cadeau le livre « A la poursuite d’Octobre rouge » que sa vocation de sous-marinier est née. Il enchaîne ensuite les lectures et les romans : « le jour ne se lève pas pour nous » de Robert Merle dans lequel il découvre la vie des équipages de SNLE lors d’une patrouille opérationnelle de 70 jours à bord de l’Inflexible, un des petits frères du Redoutable. Xavier fera trois patrouilles à bord de ce sous-marin au cours de sa carrière. Il est aujourd’hui président de l’amicale Ondine Cherbourg au sein de l’association générale des amicales de sous-mariniers (AGASM).


1- En quoi Le Redoutable est-il le symbole du génie technologique français ?

Le Redoutable a été porté par la volonté politique du Général de Gaulle. Les américains étaient persuadés que la France n’y arriverait jamais donc sa réussite anime un sentiment de grande fierté. Ce sous-marin a permis à notre pays d’asseoir son positionnement stratégique et diplomatique et a introduit La France au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.

Premier SNLE français, Le Redoutable constitue une prouesse technologique et industrielle. Son rang de premier, le place dans la catégorie des incomparables et il fait la fierté de Cherbourg. D’ailleurs, il n’y a pas d’objet industriel plus difficile à concevoir, à développer, à réaliser qu’un sous-marin nucléaire surtout quand il s’agit du premier comme Le Redoutable. Son aura rayonne à Toulon, Brest auprès de toute la communauté maritime, et des familles de sous-mariniers. Cherbourg est le berceau des sous-marins, c’est là où ils naissent et meurent et c’est ici que l’on trouve la plus grande concentration de talents et d’expertises.

Au sein de l’AGASM, Le Redoutable c’est notre bébé. Parmi nos adhérents, il y a encore quelques anciens sous-mariniers qui ont participé à sa construction et à son lancement à Cherbourg en présence du Général de Gaulle parmi ces témoins : Jean-René Lelias (81 ans), Marcel Leliboux (81 ans) et Jean-Paul Vidal (77 ans).

Pour tout sous-marinier, technicien ou ingénieur, le lancement reste un moment inoubliable : Le Redoutable étant construit sur un chariot, juste avant son lancement il était tenu par une plaque métallique. L’objectif est de découper cette plaque tout doucement jusqu’à la mise à l’eau. Un moment fort, pour tous ceux qui ont participé à cette aventure industrielle.

 

2- En tant qu’ancien sous-marinier pouvez-vous nous décrire la vie à bord d’un sous-marin comme Le Redoutable ?

A bord d’un sous-marin, le danger principal ce n’est pas l’eau, ce sont les départs de feu car il y a une telle concentration de circuits électriques que le danger est constant et la fumée peut s’avérer toxique. A terre, quand un incident survient le personnel est évacué. Une fois sous l’eau, on ne peut plus ressortir, c’est instantanément dangereux : nous sommes dans un environnement qui veut notre mort tout le temps. On vit le risque de l’intérieur 24h/24h, on n’a pas de le droit à l’erreur. Nous nous entraînons non-stop à gérer des catastrophes et l’esprit d’équipe forge notre caractère. On compte les uns sur les autres. Je garde en mémoire un événement marquant lors d’un départ de feu : même si des exercices d’entraînement sont réalisés 2 à 3 fois par semaine, lorsque j’ai envoyé mon équipe, j’étais inquiet pour leur vie, les minutes m’ont parues des heures et j’ai poussé un véritable “ouf” de soulagement à leur retour.

Par ailleurs, un sous-marin est tellement complexe au sens mathématique, que si on touche quelque chose sur le sonar par exemple, cela aura inévitablement un impact ailleurs. Même si aujourd’hui davantage de tâches ont été automatisées, malgré tout, tout ne peut pas être programmé. Cette capacité d’anticipation ne s’acquiert que grâce à des entraînements intensifs sur des simulateurs à terre. Autre particularité, progressivement à bord d’un sous-marin, les sens se trouvent modifiés : on perd l’odorat, et comme on ne voit plus l’extérieur on imagine le monde qui nous entoure, comme aveugle : quand on travaille au sonar on doit être capable de reconnaître un bruit et d’analyser sa direction. A bord du Redoutable dans le poste de commandement la table avec des calques est un endroit crucial : c’est ici, que sont effectuées les tracés, que sont posées les hypothèses, que sont réalisées les équations. On calcule tout le temps. En cas de panne d’électricité ou si un ordinateur est défaillant nous devons être en mesure de tout réaliser à la main. Pour être efficace nous avons aussi appris par cœur l’emplacement et la spécificité de chaque vanne. Par ailleurs, à bord, nous sommes à la fois, experts, pompiers, mécaniciens, assistants-cuistots… On peut même acquérir un nouveau métier car on travaille 7 jours sur 7 ! 

 

3 – En quoi le métier de sous-marinier est-il un métier passion, une vocation ?

On ne choisit pas ce métier par hasard. Devenir sous-marinier est un métier passion, une vocation, compte tenu des contraintes qu’il faut pouvoir supporter : le confinement, les périodes de mission de 70 jours… Pour l’anecdote, 2 jours après la naissance de ma première fille, j’ai été appelé pour ma première patrouille en mer. Mon seul lien avec ma famille était les familigrammes. Préalablement lu par le commandement afin de s’assurer qu’ils n’affectent pas le moral, ces messages d’une quarantaine de mots maximum sont les ancêtres des textos :   TVB : tout va bien. JTM : je t’aime…ce sont quasiment les épouses des sous-mariniers qui ont inventé les sms ! Par ailleurs, notre métier est tellement particulier qu’il fédère une large communauté. D’ailleurs, les sous-mariniers ont souvent plus d’atomes crochus avec un sous-marinier étranger, russe par exemple, qu’avec un marin français !

 

4 – En quoi les sous-marins d’aujourd’hui sont-ils si différents du Redoutable?

La taille est différente, ils sont plus discrets, dotés de performances acoustiques, ils sont aussi plus endurants et autonomes, avec des missiles et une force de frappe et de dissuasion encore plus imposante. L’automatisme et de nombreuses innovations ont fait leur apparition mais au final, ce sont les mêmes engins et les réflexes à adopter ne changent pas. 135 membres d’équipage, vivaient à bord du Redoutable alors que Le Triomphant, une fois et demi plus gros en accueille seulement 110. Plus récent, lancé en 2019, Le Suffren sous-marin lanceur d’attaque (SNA) est 2 fois plus petit et dispose d’une capacité de 60 personnes. Quand on vit dedans, on se rend compte que chaque sous-marin a sa propre personnalité. Aujourd’hui, nos ingénieurs travaillent aux études et à la conception des sous-marins de 3e génération à horizon 2035. Toute la communauté maritime française est partie pour 100 ans de sous-marins !

 

5 – A bord du Redoutable, vous effectuez régulièrement des visites. Après avoir travaillé des années à bord de sous-marins, quelle sensation avez-vous quand vous retournez dans Le Redoutable comme visiteur ou en tant que guide ? Avez-vous une anecdote à nous livrer dans le cadre des visites guidées que vous effectuez pour les groupes ?

Le plus marquant quand on retourne à bord du Redoutable c’est l’odeur qui fait resurgir tous les souvenirs. C’est un mélange de plastique, de vapeur d’huile et de cuisine, de liège indispensable pour le calorifugeage.  J’ai des t-shirts qui après des années sentent même après plusieurs lavages, c’est une odeur qui s’incruste et s’accroche à tout.

Lors des visites, les profils des visiteurs sont très différents : il y a les claustrophobes, les inquiets qui ne peuvent rester plus d’une heure alors que d’autres veulent embarquer et passer des jours à bord pour goûter et appréhender le métier de sous-marinier.

Je me souviens d’une visite réalisée pour le service des Ressources Humaines d’une grande entreprise du luxe. Nos deux mondes sont aux antipodes, l’un clinquant bien loin de notre univers confiné, secret, rude des sous-marins. Mais au final je me rappelle d’un échange passionnant, démontrant que les sous-marins passionnent tous types de visiteurs. Une autre visite marquante fut celle effectuée avec un groupe d’aveugles. Nous nous sommes compris immédiatement car en réalité à bord d’un sous-marin, on a recours à des mécanismes mentaux communs avec les aveugles. Les sens se transforment, les bruits s’amplifient, les repères dans l’espace sont différents. Sensoriellement nos deux mondes se ressemblent. 

 

 

 

5-  Qu’est-ce qui vous passionne le plus à La Cité de la Mer ? Et si on rêvait un peu… Quelle serait pour vous, La Cité de la Mer de demain ?

Au-delà de la visite du Redoutable, je reste impressionné par les sous-marins de poche exposés dans la nef d’accueil car enfant je rêvais déjà d’exploration. L’aquarium composé comme un tableau me fascine. L’espace Titanic fait son effet de surprise. Je me suis toujours interrogé : pourquoi tout ce mythe alors qu’il y a eu de nombreux autres naufrages ? Mais c’est au cours d’une visite avec mes enfants que j’ai pu me rendre compte de la puissance muséographique de cet espace. J’ai fini par m’intéresser en profondeur à cette histoire. Autre moment et conférence mémorable à La Cité de la Mer : l’événement Explorateurs des Abysses qui a réuni à en octobre 2017, les grands océanautes du monde entier. Ces explorateurs sont dotés d’une force individuelle incroyable. Ils vivent des exploits souvent solitaires contrairement aux sous-mariniers qui vivent une aventure collective, une performance, une endurance. De vraies rock stars !

Enfin, en perspective de développement futur à La Cité de la Mer, pour ma part, je souhaiterais faire l’expérience d’aller sous l’eau. Avec le nouvel espace Océan du Futur, les visiteurs ont déjà l’impression d’être sous l’eau grâce aux images, mais je rêve d’une expérience encore plus immersive. Pourquoi ne pas créer et passer par exemple sous un tunnel d’eau. Être et se sentir physiquement dans la mer est une sensation incroyable et ça me fait rêver !

 

 

 

 

 

A noter : personnalités militaires liées à Cherbourg

L’ancien chef d’Etat-major des Armées qui a quitté ses fonctions en juillet 2021, François Lecointre est issu d’une famille de militaires. Il est né et a fait ses premiers pas à Cherbourg. Il a la singularité d’être le fils d’un ancien commandant du Redoutable.